D’un point de vue

Mon témoignage ne se dit pas en mon nom, mais au nom de celles et de ceux qui en sont le cœur. Il se trouve bien éloigné de nos préoccupations, à Bruxelles, ici, en Belgique, voire même de nos préoccupations occidentales. Je travaille pour une organisation internationale qui accompagne des personnes réfugiées et des demandeurs d’asile. Une mission récente m’a conduite au Kenya, en Afrique de l’Est, et plus particulièrement dans un "camp de réfugiés", au Nord Est du pays, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière somalienne.

Ce camp existe depuis 20 ans, depuis les débuts de la guerre en Somalie d’où provient la majorité des personnes réfugiées. En 1991, près de 100 000 personnes fuirent les combats et les persécutions, quittèrent leur pays et se rassemblèrent dans ce nouveau camp. Depuis 20 ans, des enfants sont nés et n’ont connu que cet environnement, d’autres sont morts, sans avoir jamais pu rentrer dans leur pays. Aujourd’hui, 527 000 personnes réfugiées vivent dans ce camp. Depuis la reprise des conflits en Somalie il y a quelques années, plusieurs milliers de personnes arrivent chaque mois. L’infrastructure mise en place au fil du temps permettait, jusque en 2009, d’accueillir 90 000 personnes au maximum…

Le camp est situé dans un lieu désert semi-aride, parsemé de buissons et d’arbustes, isolé dans une région où la température est au minimum de 35 degrés, tout au long de l’année. Le premier bourg, Dadaab (5 000 habitants), qui donne son nom au camp, est à plus de dix kilomètres. Le gouvernement kenyan a généreusement laissé ses frontières ouvertes, à la condition, cependant, que les gens résident dans le périmètre exclusif du camp, sans en sortir. Dans cet endroit, il n’y a rien : la plupart des gens sont dans des tentes de fortune ou des « habitats » -pour autant que le mot puisse vraiment s’appliquer ici -, faits de brindilles et de bouts de tissus. Quelques familles présentes depuis plus longtemps ont pu éventuellement se construire un toit de torchis, sous lequel s’entassent une dizaine de personnes.
Il n’y a pas d’école secondaire. Certes, quelques structures accueillent les enfants de 6 à 12 ans, mais à raison de 120 élèves par classe, que des enseignants, en général sans qualification, essaient d’occuper. L’économie est inexistante : les gens n’ayant pas le droit de travailler, ni celui de cultiver la terre. La situation est donc celle d’une totale dépendance et d’une extrême pauvreté. La communauté internationale apporte tout juste de quoi subsister, nourriture et autres services de base. Quelques puits ont été creusés et les femmes et les enfants, qui constituent la majorité de la population avec les personnes âgées, font des kilomètres au quotidien pour rapporter de l’eau, se mettant ainsi en situation de risques d’agressions, voire de viols. Quant aux adolescents, désœuvrés, ils sont souvent enlevés ou recrutés pour aller faire la guerre et devenir « enfants-soldats ».
N’est-ce pas interpellant de constater que « chez nous », malgré nos richesses matérielles, nous avons du mal à accueillir quelques milliers de réfugiés venus nous demander asile et assistance, tandis que, là-bas à Dadaab, un pays, somme toute pauvre, le Kenya, accueille des centaines de milliers de personnes réfugiées ?