Pourquoi les « étrangers » sont ils devenus des "migrants" ?

Il y a 20 ans et plus, le vocable « étranger » désignait celui qui n’était pas de « chez nous ». Aujourd’hui, ce terme semble avoir disparu et l’« étranger » est devenu un « migrant ».
Pour autant, il me semble que face à un « étranger », je peux mieux me positionner. En effet, cet élément d’extranéité me permet en retour de décliner ma propre identité (mon origine, mon genre, ma couleur de peau…) face à un autre, différent, et dont l’origine est ailleurs. Par cette vivante altérité -qu’elle me plaise ou non- je me sens défié dans ma proximité (sociale, économique, spatiale). Une personne « étrangère à moi » me questionne sur moi-même, car réciproquement, elle me trouve tout aussi étrangère à ses yeux. Ainsi, étranger l’un à l’autre, nous sommes invités à une rencontre en égale dignité.


Qui suis-je face à un « migrant » ? Comment, moi « non migrant », puis-je me qualifier face au « migrant » venu d’ailleurs ? Sédentaire ? Im-mobile ? Pourtant, je voyage, je pars en vacances, je suis conduit à vivre des missions parfois à l’« étranger ». Mais, on ne me nomme jamais « migrant » ; je suis seulement « en déplacement » pour des raisons personnelles ou professionnelles. Et pourtant, je demeure bien un étranger dans cet ailleurs qui n’est pas «mon chez moi» d’origine.

Pourquoi celui qu’on appelait « étranger » est-il devenu « migrant » dans nos sociétés post-modernes ? Est-ce un simple glissement sémantique ? L’utilisation de ce terme technique ne tendrait-elle pas, subrepticement, à faciliter l’application de solutions techniques et administratives aux questions épineuses de la « migration » : arrestation, rétention, détention, expulsion, intégration… Qu’est devenu l’«étranger» avec qui l’altérité était plus évidente, plus offerte, plus humaine ? Comment vivre l’altérité avec un « migrant », qui ne cesse, sémantiquement, d’être celui qui reste en déplacement ?