Paradoxes et contradictions de la libre circulation

A la fin des années 70, Margaret Thatcher et Ronald Reagan, dérégulant le fonctionnement interne de leur pays respectif et libéralisant les relations avec les autres, ont ouvert les frontières à la libre circulation des biens et des services…

 Quant aux transferts financiers, peu après, devenus virtuels grâce à internet, ils se jouent des frontières et des territoires, véritables mouvements browniens de capitaux, construisant leur vie spéculative propre, indépendamment de l’économie réelle. Depuis le début du XXIème siècle, les différents accords commerciaux de coopération économique, bilatéraux ou multilatéraux, abolissent les barrières douanières accélérant ainsi cette circulation des biens et des services. Camions, trains, avions et bateaux, décuplant les moyens de transport, drainent ces flux croissants de marchandises à travers terres, mers et airs de la planète, tandis que les câbles sous-marins et les satellites acheminent les messages à la vitesse de la lumière.

La seule richesse, la plus précieuse, dont la circulation reste plus ou moins bloquée ou très fortement ralentie, ce sont les personnes dont la plupart des déplacements sont encore soumis aux visas des pays de destination quand elles ne sont pas chassées, brutalement, du pays de leur migration ; en particulier, les personnes originaires des pays « pauvres », car les « riches » se sont arrangés pour faciliter leurs déplacements réciproques. Et justement, à un moment où la demande et le besoin s’intensifient, sont poussées hors de chez eux, pour diverses raisons, des populations de plus en plus nombreuses qui viennent bien trop souvent se noyer dans la Méditerranée ou dans les mers d’Asie, à moins qu’elles ne soient déjà mortes de faim et de soif dans les déserts ou de mauvais traitements dans les pays de transit.

La réponse à cette pression croissante des pays d’accueil ou de destination est de construire des murs, physiques ou virtuels, pour bloquer ce que beaucoup considèrent et dénoncent comme de véritables invasions. Les pays « riches » se protègent et se défendent ainsi contre les « assauts » de populations « pauvres » et prêtes à tout pour sortir de leur condition injuste. Mais, en se renfermant dans leur forteresse confortable, ils se replient sur eux-mêmes et se privent par-là du renouvellement et de l’enrichissement indispensables à leur croissance : car, on le sait, la vie est dans l’échange et dans le mouvement. En les bloquant, les pays « riches » privilégient le présent et leur avenir immédiat, mais hypothèquent leur futur qui ne peut s’épanouir que dans le partage et la solidarité. Il est quand même paradoxale que les biens et les services qui ne peuvent apporter que des satisfactions matérielles à leurs destinataires puissent circuler librement tandis que les personnes qui sont capables de les produire et de les inventer soient assignées à résidence et tenues à distance ou exposées aux risques de migrations mortelles. Ce dont notre monde a besoin aujourd’hui ce sont des passerelles, en faveur des migrations et des migrants que nous sommes tous.

C’est aussi à cette construction de passerelles que la Fondation Josefa travaille avec d’autres, à sa façon : la Maison Josefa va accueillir des personnes réfugiées, rendues vulnérables par leur migration forcée, en cohabitation avec des résidents européens, une maison qui veut favoriser l’altérité à la mesure de la richesse de nos différences et de nos vulnérabilités et qui veut contribuer à abolir les murs entre nous, tous migrants, et ainsi à renouveler le regard que nous portons les uns sur les autres, afin de construire un vivre ensemble pacifié.