Tous migrant et moi ?

C'est sur le trajet des vols Paris/Tel Aviv/ Paris que je repense à la question « Tous migrant et moi ? ». A l'aller comme au retour, ces vols sont chargés d'histoires de migrations. Vieux et jeunes migrant sur plusieurs générations

A bord, enfants ou petits-enfants de ceux qui ont fui les pogroms d'Europe de l'Est ou de rescapés de la Shoah ; d'autres venus majoritairement d'Afrique du Nord, avant cela chassés d'Espagne ou du Portugal. Tous portent un passé fait de ruptures, un présent instable et une foi en un avenir stable en Terre Promise. Nombreux sont ceux qui font plusieurs allers-retours entre les deux pays, familles éclatées, le cœur divisé sur plusieurs zones géographiques. Certains finissent par s'installer en Israël ; d'autres reviennent, leur rêve difficile à transformer dans un pays constitué pourtant de plus de 70 origines différentes ; tous issus de lointaines ou récentes migrations. Souvent, sur ces trajets, il y a des gens qui se retrouvent, des noms de familles qui résonnent, des histoires de villages qui renaissent, émouvantes retrouvailles.

A l'aller, ma voisine de droite est une jeune arabe israélienne, étudiante à l'université de Tel Aviv, smartphone et tenue branchée ; comment se vit-elle et se projette-t-elle dans cette région marquée de flux complexes de migrations ? Devant moi, une sœur en pèlerinage pour Jérusalem. Non loin, des juifs religieux qui lisent ou prient sur le parcours ; voyageurs permanents dans d'autres espaces migratoires.

Je rentre en France, après avoir retrouvé, suite à plusieurs années de recherche, la tombe de mon arrière-grand-père né à Tibériade à la fin du XIXème siècle. Un sage qui a quitté la Palestine pour la Tunisie où il fut grand rabbin de Sfax et est revenu mourir dans sa terre natale.

Dans cet avion, nous avons tous partagé le même vécu avant hier. Celui de la sirène d'alarme qui a retenti au petit matin à travers tout le pays, nous signalant de regagner des abris, çà et là. C'était la première fois pour moi, à peine réveillée, que je devais choisir une ou deux affaires essentielles à emporter. Hébétée, je suivais les voisins dans l'escalier, unique abri à notre portée. Une pluie de roquettes s'est abattue sur Tel Aviv, heureusement arrêtées sur leur parcours meurtrier. Enfants, personnes âgées, israéliens ou touristes, nous étions tous une même cible. Après plusieurs heures d’attente, en chemise de nuit, mon passeport à la main, j'ai pu regagner mon logement. Comment me préparer pour la prochaine fois ? Les israéliens ont intégré l'impermanence dans leur quotidien. Je me suis promis de faire au moins l'effort d'apprendre l'hébreu. Les écoles sont restées fermées toute la journée. Les rues habituellement si animées s'étaient figées, interdiction de sortir. Je ne sais plus si j'ai prêté attention ce jour-là au chant des oiseaux que j'aime tant dans cette ville, pourtant, ils n'étaient plus couverts par le bruit incessant des voitures. Tous mes repères étaient bouleversés. 

Je rentre en France, habitée par ces visages qui ont voyagé avec moi, marquée par le sentiment de ma proximité avec tous, migrant, hier et aujourd'hui, et je pense plus que jamais à l'avenir de nos enfants.

Tania