Partir, c’est mourir un peu…

Le verbe partir, comme le verbe aller, est un des plus courants : on l’emploie à longueur de journée, sans trop y porter attention : « je pars au travail..., à l’école…, faire des courses…, nous partons en vacances…, je suis parti à la montagne… Il indique que nous sommes toujours en mouvement ou en déplacement : on pourrait dire que notre existence est une migration permanente. Mais, évidemment, ces départs quotidiens n’ont rien de mortel

Par contre, au-delà de ces déplacements quotidiens, il y a des départs ou des migrations plus radicaux auxquels s’applique cette expression : « partir, c’est mourir un peu ». Il s’agit de quitter son lieu de vie, pour une raison plus ou moins lourde selon que ce départ est volontaire ou subi : je peux déménager pour rejoindre le lieu d’une nouvelle affectation professionnelle : celle-ci peut être plus moins imposée ou choisie ; je vais rejoindre mon conjoint et, en principe, c’est plutôt positif ; il peut aussi arriver que je sois chassé de chez moi par la guerre ou un conflit, par un événement climatique ou une catastrophe : alors, je n’ai pas d’autre choix que de partir pour sauver ma vie et celle des miens ; c’est simplement un sauve qui peut...

Evidemment, la cause du départ pèse sur la façon dont celui-ci est vécu. Mais, quoiqu’il en soit, partir c’est toujours mourir un peu.

En effet, quand on part, on quitte un lieu auquel, en général, on était attaché, plus ou moins chargé de souvenirs, selon la durée où on y a vécu… ; on laisse derrière soi des relations, de voisinage, d’amitié, de travail, éventuellement, de famille… ; une activité professionnelle ; des habitudes construites au fil des années ; des liens affectifs… ; peut-être, des biens matériels qu’on ne peut pas emporter avec soi… Tout cela entraîne un détachement, plus ou moins douloureux qui fait penser à la mort.

Mais, quand le départ est forcé, c’est tout simplement un arrachement au monde qu’on doit quitter, plus ou moins rapidement et brutalement, où on laisse presque tout, prenant juste l’essentiel avec soi, dans la mesure du possible. Si on en a le temps, on se demande alors : on emporte quoi ? Les papiers importants ? Des photos ? Des vêtements ? Du matériel ?... Partir, c’est alors, tout simplement, éviter de mourir ; mais aussi, vraiment, mourir un peu, surtout s’il y a peu de perspective de retour.

Ainsi, comme nous sommes toujours, d’une certaine manière, sur le départ, en migration, dans la vie quotidienne elle-même, le proverbe se vérifie, plus ou moins pleinement, dans tous les cas de départ effectif. Mais, nos vies se terminent, toutes, un jour, par un départ sans retour qu’ont anticipé tous les départs que nous avons vécus au cours de notre existence : ultime migration, préparée par les migrations de chaque jour qui constituent notre condition humaine. Comme, par nature, nous sommes tous mortels, nous sommes également tous migrants, à la fois dans l’espace et dans le temps.

Jean-Louis