Nos migrations - Coaching et Migration

Certaines choses changent - certaines choses restent les mêmes, …

Cette phrase était écrite dans une brochure d’une société pour laquelle j’ai travaillé il y a quelques années. Pour moi, elle était porteuse de vérité et elle résonne jusqu’à aujourd’hui... 

Inutile de répéter les faits qui se rapportent aux changements que nous voulions effectuer dans notre monde aujourd’hui : la violence, le climat, les ressources naturelles, parfois même certaines relations ou la manière d’entrer en relation, nos dialogues etc. Souvent, nous savons au fond de nous-mêmes ce que nous voulons changer, dans le monde et en nous-mêmes. Comment dès lors passer à l’acte ?

Je tiens d’abord à explorer comment nous ne passons pas à l’acte. Souvent, malgré le désir de changement, nous nous accrochons à ce que nous connaissons parce que nous avons aussi besoin de stabilité et de sécurité. C’est difficile de passer à l’acte et de saisir le lest à jeter par-dessus bord. Toute notre culture, nos habitudes sont imbibées de ce qui nous est familier, de ce que nous avons appris, de ce qui contribue à notre stabilité. L’enfance et la jeunesse correspondent au premier temps de curiosité et d’émerveillement quand nous cherchons à réaliser le « neuf » en nous. Qu’est-ce qui nous amène plus tard dans la vie à l’enfermer si souvent, surtout face à des défis qui se présentent à nous, ou de vouloir vivre ses moments d’enfance ou de jeunesse que nous n’avons pas pu assumer jadis, plutôt que d’appliquer cet élan de curiosité et d’émerveillement à notre aujourd’hui et de laisser reposer le passé ?

En creusant plus loin sur le comment passer à l’acte, j’ai réalisé que la recherche a trouvé de nombreuses solutions très pertinentes pour remédier aux défis de notre temps et de nos questions relationnelles. Un exemple : certains chercheurs disent que nous nous trouvons dans une crise profonde de l’esprit occidental qui nous confronte avec des handicaps conscients et inconscients. Notre épistémologie, notre manière de savoir, qui est principalement formée par l’approche scientifique, rencontre ces limites. Nous avons appris à accumuler du savoir pour contrôler et prédire et la science nous dit ce que nous pouvons savoir et ce que nous ne savons pas. En cherchant à savoir, nous avons perdu la relation avec autrui, le monde et le transcendant ou Dieu pour les croyants des religions monothéistes. Cette manière de penser nous isole et nous manipule. Un esprit de contrôle et un désir de liberté ou de lâcher prise des responsabilités de l’adulte se succèdent parfois.

Puis, j’ai découvert le travail de Robert Kegan et son livre « The Mental Demands of Modern Life ». Le travail de Robert Kegan se résume en ce qu’il dit qu’autant l’enfant qui sort un jour de sa pensée magique, autant l’adulte est appelé à accéder à des niveaux de conscience de plus en plus développés. Il dit, entre-autres, qu’au-delà de la pensée du jeune adulte qui sait non seulement être abstraite, factuelle et conceptuelle mais qui sait aussi tenir en parallèle deux points de vue, ce qui nous permet de vivre en société, notre époque nécessiterait une maturité qui va plus loin. La conscience d’un jeune adulte lambda (gardons ici en suspens Greta Thornberg) permet d’être bon citoyen, mais elle ne comprend pas encore comment s’élever au-dessus de la société et de la questionner, d’interroger les valeurs, les rôles, les règles, le système dans son entièreté et, par elles, d’y remédier. Cela requiert une prise de conscience de nos interprétations et des compétences linguistiques, émotionnelles et somatiques. Ce niveau de conscience nous sort de la position de l’opposant ou de la victime et ouvre les portes vers la responsabilité ; vers les possibilités et l’admiration du chemin devant nous. Nous sortons de la position du consommateur, d’un côté, ou du refus de suivre les pas de la majorité, de l’autre. Nous sortons du drame des évènements qui nous dépassent et nous nous situons avec notre personne dans nos relations et notre monde pour aborder ce qui doit être changé. En tant que psychiatre, Astrid du Lau a observé cette question avec une perspective géopolitique dans son livre « Quand l’irrationnel souffle sur le monde ». L’irrationnel aujourd’hui, dans le contexte du changement climatique, est que nous, les citoyens, savons qu’il faut tous changer, mais assez souvent nous avons les bonnes idées pour les autres.

Quelle est la pertinence de tout cela dans notre aujourd’hui, mon aujourd’hui ?

Dans mon activité professionnelle des premières 20 années, j’ai amené des cadres supérieurs et des dirigeants d’entreprise à changer de société et de position, dans la plupart des cas pour une vie meilleure. Ils voulaient grandir et là où ils étaient cela semblait moins attractif que ce je proposais. Leurs désirs de changement qu’ils partageaient avec moi étaient satisfaits par le fait de changer de poste ou de société. En retournant dans le métier après une pause sabbatique, j’ai réalisé que presque toutes les personnes que j’appelais étaient prêtes à considérer un changement, ce qui avait été une minorité au début de mon activité professionnelle. J’ai conclu pour moi-même que le système avait quitté une zone d’équilibre dans laquelle moi j’étais à l’aise d’amener des gens à changer. Là, je participais à un carrousel qui semblait déstabiliser les sociétés et les carrières des cadres. Pendant ma dernière année en executive search, j’ai aussi réalisé, en creusant un peu plus loin, qu’une bonne partie des cadres cherchaient à atteindre un mieux qui n’était pas nécessairement plus facilement atteignable en changeant de société ou de poste. En formulant ce qu’ils désiraient vraiment apprendre, certains retiraient leur candidature.

J’ai alors accepté de quitter ma zone de confort qui était de travailler dans un métier que je connaissais, et de me former dans un métier qui était nouveau pour moi. J’ai quitté un métier où j’évaluais l’aptitude d’un cadre par rapport à une responsabilité et à un projet nouveau et j’ai commencé à me former pour rejoindre la profession du coaching qui accompagne les personnes à améliorer quelque chose, à atteindre un but qu’ils définissent pour devenir davantage eux-mêmes, pour mieux se tenir face aux exigences de ce qu’ils entreprennent, dans n’importe quel contexte. Cela ne vise pas le wellness, l’objectif à la mode, mais la responsabilité devant un désir de développement intégral de la personne, le plus haut degré en « adult learning ».

Ce nouveau métier m’a alors donné de vouloir chercher plus loin, pour trouver ce qui met notre époque mal à l’aise et ce qui s’exprime souvent par des relations en souffrance, en entreprise et dans la société en général, dans les familles ou ailleurs. Comment trouver une réponse à ce que nous voulons garder et à ce que nous voulons changer ?

Plus haut, j’ai parlé du déséquilibre de notre pensée si elle est basée sur un savoir scientifique uniquement. Au sortir du Moyen Âge, nous avons perdu une pensée unifiée qui savait tenir des univers contraires, comme deux segments qui forment une unité. Avec les sciences dominant la sphère du savoir, nous avons abandonné d’autres sphères du savoir, comme par exemple le savoir basé sur la foi ou l’intuition. Au Moyen Âge, ils savaient se tenir dans l’un face aux différences qu’ils voyaient ; ils savaient voir la complémentarité dans deux propositions apparemment contraires. Ils pouvaient penser en termes de « et…et » plutôt que de « soit … soit et qui a raison ». Inutile de penser que nous devrions retourner vers ce « et…et » du Moyen Âge qui n’avait pas encore intégré la pensée scientifique. Cherchons-le « et…et » de notre aujourd’hui.

Quelle pertinence alors pour nos migrations ? Nos blessures diffèrent d’après la partie du monde où nous habitons, mais la réaction face aux blessures est assez universelle. Le défi sera de s’y confronter, avec douceur et fermeté, à partir d’une position d’adulte et non pas en tant que victime. Seule la position de l’adulte protège des aléas des émotions nocives.

Par exemple, une jeune mère pleine de talent, qui a deux enfants avec son mari et vit un début de carrière prometteur, et qui veut permettre un virage professionnel à son mari, ne s’en sort plus parce qu’elle non plus n’est pas heureuse dans son travail, mais elle n’ose pas bouger, tant que c’est elle qui assume le gagne-pain pour la famille pendant la transition professionnelle de son mari. Comment garder le cap et négocier le changement dont elle a besoin pour grandir, avec son employeur, son mari et elle-même ?

Ou un ancien directeur général de succursale d’une entreprise multinationale qui entre dans le comité exécutif d’une autre société, petite mais internationale. Comment assumer la responsabilité légale de toutes les décisions qui se prennent dans ce comité, en vue non pas seulement de la rentabilité de l’entreprise, mais aussi de sa responsabilité sociétale plus large.

Dans ces cas-ci et dans bien d’autres, j’ai réalisé que l’art aujourd’hui réside dans la manière d’amener la connaissance théorique qui existe dans les universités et dans les écoles de formation d’adulte vers ceux qui sont sur le terrain. Cela aide les acteurs de notre société à faire ce passage d’un niveau de conscience vers un autre. Cela évite qu’ils soient piégés dans la position de victime et de tomber malade. Au lieu de cela, ils peuvent se positionner en tant qu’acteur et entrepreneur (au sens large du terme), responsable d’assumer les possibilités qui se présentent dans n’importe quelle crise pour éviter qu’elle tourne en drame ou tragédie.

La beauté du métier que j’ai découvert réside dans le fait qu’il puise sa force dans la parole qui se découvre au fur et mesure des conversations, des dialogues, des négociations et des silences entre le client et le coach. Par une parole humanisée qui traverse et assume la souffrance et qui expérimente pour arriver à dire ce que la personne veut vraiment dire, le sourire réapparaît sur les visages et une nouvelle humanité peut naître pour rencontrer les défis de la vie jusqu’à son terme.

… ou quand plus de la même chose n’est pas une option.

Sigrid