La Maison

Le vent et l'eau de pluie claquent contre ses joues, l'assaillent à l'approche de l’église Sainte Catherine, à Bruxelles. Son seul moyen de défense contre le monde extérieur demeure son col en feutre retroussé et un haussement d'épaules involontaire. 

De minces lampadaires accompagnent sa marche, le surplombant de leur lumière à peine perceptible à travers la pluie tombante. Ses yeux versent des larmes lesquelles, à la hâte, rejoignent les gouttes de pluie, comme pour témoigner, dans les plis des orbites, de la fin de leur existence.

À la limite de la conscience, il remarque qu’une douce et vive lumière s'allume et s'éteint encore. Les pavés scintillants font place à des dalles de pierre qui le guident vers l'intérieur de l’église. Il tourne la tête vers un plafond qui s'élève jusqu'aux cieux tandis qu'un faible bourdonnement remplace les coups de vent de l'extérieur. Il marche au milieu d’âmes zélées comme la lumière des bougies qui le traverse.

Après quelques pas et un craquement du bois en dessous de lui, il se laisse tomber à genoux.

« Pardonne-moi, Père, car j'ai péché », dit-il. « Oui, mon fils », répond le prêtre à travers l'ouverture grillagée.

« Toute ma vie, j'ai vécu selon mes propres principes. Ceux-là m'ont permis de connaître des hauts et m'ont sorti de mes bas. Ils m’ont apporté le succès et m'ont protégé du malheur ».

Le ton de sa voix baisse et il frappe délicatement son front contre le panneau de bois avant de continuer.

« Pourtant, cette lumière ! Cette blessure brûlante, qui gronde dans mon cœur, ne guérira pas, quoi que je fasse ». « Qu'est-ce qui te torture ? » demande le prêtre.

« Je suis incapable d'aimer. J'ai tourné le dos à la volonté du Seigneur d'aimer. ».

« Est-ce l'amour qui t'inflige la douleur ou l'idée que tu t'en fais ? ».

Il fait une pause pour approfondir la question du prêtre.

« Les deux, mon père. La malveillance de l'amour et ma propre impression de celui-ci ».

« Et votre réponse était de vous retirer ? ». « Je n'ai pas vu d'autre choix », prononce l'homme, défait.

« Votre venue ici ne vous dit-elle pas le contraire ? ».

Un silence tonitruant emplit la cabine, clouant le front de l'homme plus profondément dans les crevasses du bois, tandis que ses larmes coulent en cascade à l'intérieur.

« Je vois deux mensonges et une vérité, mon fils ». « Tu as raison pour l'amour. La souffrance fait partie de l'amour, sans laquelle il ne peut exister. Tu te trompes cependant sur deux autres choses ». « D'abord, tu n'as pas tourné le dos à la volonté du Seigneur, mon fils, mais à ta propre volonté d'aimer. L'amour est comme une bougie. Plus tu t'y accroches, plus il est probable que la cire et le feu te brûlent. Ta réponse à cette énigme est de jeter la bougie dans son ensemble. Ensuite, ce que tu oublies, cependant, c'est le but de la bougie. Elle donne la lumière ». « Tu ne peux pas marcher dans le noir sans lumière, mon fils ».

Le silence s'abat sur son esprit, un moment si vide qu'il en devient plein. L'homme lève la tête et se soulève du sol pour se remettre sur ses pieds. Ses yeux percent la paroi à treillis, repérant les yeux sombres et baissés du prêtre. Ils sont bordés de rides qui ne semblent n’être que le fruit de rires de joie.

« Aimez-vous, Père ? » demande l'homme. « Tous les jours, mon fils. J'essaie d'aimer tous les jours ».

L'homme fait un pas hors du confessionnal. Il regarde devant lui lorsque ses yeux surprennent un enfant et sa mère, qui se moquent l'un de l'autre après avoir été trempés par l'eau de pluie. « Merci », dit l'homme en se retournant. « Je vais m’efforcer d’essayer ».

Samir